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Le petit monde de Gniark
16 juin 2009

"Les 170 jours de Điện Biên Phủ - Convoi 42" d'Erwan Bergot

Ce soir, je vais vous parler d'un livre, plus exactement de 2 livres d'Erwan Bergot : les 170 jours de Điện Biên Phủ et Convoi 42.
Le 1er raconte la bataille et le second la marche et la "vie" au camp de "rééducation par le travail et le repentir".

Ce livre est à la fois touchant et révoltant. Touchant, car on y croise des hommes d'exception, des gens hors du commun au destin si malheureux. Révoltant devant tant de cruauté (peut-on avoir foi en l'Homme ?) et de gâchis.

Voici quelques extraits sur une bataille pas forcément connue (autrement que par son nom) et surtout sa terrible suite.

les 170 jours de Đien Biên Phu

Pour les Français, la chute de Dien Bien Phu ne serait qu'une péripétie tactique sans véritable influence sur la situation militaire dans le reste du territoire : 4 % seulement du corps expéditionnaire y stationnent, fixant dans la vallée plus de 60 % du corps de bataille ennemi.

Cela fait à peine 3000 hommes [français].... Quant il le veut, Giap peut lancer environ 35000 hommes, sans compter les artilleurs et travailleurs. 60000 hommes de plus.

La France fermait ses yeux, bouchait ses oreilles, taisait sa voix.
Tout comme elle devait rester à jamais silencieuse lorsque, le cessez-le-feu une fois signé, elle put faire le décompte des prisonniers de Dien Bien Phu rendus par le Viêt-minh. Elle aurait pu demander :
- A Dien Bien Phu, vous avez capturé 11721 soldats de l'Union Française, valides ou blessés. 3290 nous ont été rendus. Manquent 7801. Que sont-ils devenus ?
Mais jamais cette question n'a été posée.


Convoi 42

Les 170 de DBP s'arrêtaient le 7 mai 1954. Rien, pourtant, n'était terminé vraiment et si certains soldats avaient cru parfois toucher le fond de l'enfer, tous se trompaient. Le pire était à venir.
... cette lente, inexorable descente vers le désespoir absolu, ces 4 mois de détresse, d'épuisement et de faim, avec leur cortège d'horreurs, la dégradation des corps et des esprits, la haine vigilante et diabolique des geôliers, et le retour à la liberté, dans un climat de suspicion, d'hostilité, puis d'indifférence.

Nous sommes les survivants d'une tragédie que nos contemporains ne soupçonnent pas. Quel que soit l'accueil qui nous attend, n'oublions pas que nous sommes aussi les survivants d'un enfer où des hommes acceptèrent de mourir pour effacer le scandale de ceux qui se contentent de vivre.
[Le Prêtre et le Commissaire - Albert Stihle] 

La nuit était proche. Il pressa le pas et déboucha sur une minuscule esplanade. [...] duex hommes riaient à gorge déployée, en s'assénant de formidables claques sur les cuisses. Ils regardaient, à leurs pieds, les évolutions d'un gros animal, attaché par le cou, qui aboyait furieusement.
Le spectateur de gauche était un civil, justaucorps noir, béret basque, visage buriné. Celui de droite était un Bo doî d'âge mûr. De temps à autres, il puisait dans un panier posé à côté de lui quelques grains de riz qu'il jetait, du haut de son piédestal, à l'animal qui jappait alors ses remerciements, en se dressant sur ses pattes de derrière et en agitant ses antérieurs.
En soi, la scène n'avait rien d'aussi désopilant que l'hilarité des deux hommes pouvait le laisser supposer. Norris observa mieux. Et il se raidit, statufié.
Trompé par le crépuscule, ce qu'il avait d'abord pris pour un gros chien était un homme. Et un homme blanc.
Il avait les cheveux noirs et bouclés, qui lui tombaient sur les épaules et masquaient une partie de son visage dont le bas disparaissait sous une épaisse barbe grise de crasse. Ses bras étaient d'une saleté repoussante, couverts de boue et de griffures dont le sang avait coagulé. Il était vêtu de loques, mais la coupe de sa veste indiquait qu'il s'agissait d'un parachutiste.
"Depuis combien de temps était-il là ? se demanda Norris. Ce n'est pas un soldat de DBP, il n'aurait pas les cheveux aussi longs. Peut-être une année ?"
Son coeur se serra. Il pensait à ce que devait subir son infortuné camarade pour arriver à survivre de quelqeus grains de riz. Que d'humiliations endurées, que de rage étouffée !
Il sut qu'il commettait une grave imprudence en pénétrant dans la clairière, bien en vue des 2 personnages qui s'étaient aussitôt arrêtés de s'esclaffer. Mais ce fut plus fort que lui. Aider un frère d'arme était un devoir sacré. En même temps, il se disait qu'il n'allait pas lui être d'un grand secours ; il ne possédait rien que sa compassion.
Du bras, le Bo doï lui intima, de loin, l'ordre de rebrousser chemin. [...] Mais Norris était hors de lui, étranger à toute peur. A mesure qu'il approchait, il percevait des détails qu'il n'avait pas discernés auparavant. Le para  avait les chevilles enserrés dans de gros bracelets de fer reliés par une chaîne. Autour du cou, un collier de métal était attaché à une longue laisse de cuir tressé, fixée à un piquet.
- Vous n'avez pas le droit de traiter ainsi un prisonnier de guerre ! hurla-t-il.
Entendant la voix de Norris, le prisonnier avait fait face. Il était d'une maigreur effrayante. Par les trous de sa veste, l'on voyait saillir les côtes. Les yeux profondément enfoncés dans les orbites, les yeux creusés, la bouche ouverte sur un peu de salive, son aspect était terrifiant.
- Puis-je faire quelque chose pour toi ? demanda Norris, soudainement mal à l'aise.
Pour toute réponse, le para montra les dents, gronda en tirant sur sa laisse et se remit à aboyer, comme un chien furieux. Il était fou, fou à lier.
[...]
- Qui pouvait être ce type ?
- Sans doute un cadre des maquis anti-viêt-minh. L'an passé, nous avons laissé derrière nous des unités de supplétifs, Thaïs ou Méos, chargés de mener sur les arrières du Viêt-minh des actions de guérilla. [..] Les Viêts ne leur ont pas fait de quartier. Ils ont fusillé, torturé, pendu. Je pense que la para que tu as vu est l'un des rares rescapés de cette tragédie.
- Rescapé.C'est beaucoup dire. Mieux vaudrait qu'il fût mort plutôt que de supporter cette infamie.
- Il est fou. Cela vaut sans doute mieux pour lui; il ne se rend pas compte...
- Je n'ose pas imaginer par quelles abominables tortures il a dû passer pour ainsi perdre la raison .. !
Puis Jo Allenic ajouta, et Norris devait toujours porter en lui cette réflexion comme une devise :
- Jusqu'où peut-on accepter de descendre dans la déchéance pour survivre ?

Dans le genre sadique, comparés aux Viets, les nazis étaient des petits garçons ! Fans leurs camps de concentration, ils tuaient les déportés. Ils ne leur demandaient pas, en plus, d'adopter leurs idées et de se condamner eux-mêmes !

83 décès pendant la marche, 242 au camp. Beau résultat de la clémence du président Hô Chi Minh ! 385 morts, sur un total de 400 prisonniers !

(la libération est enfin arrivée...)
- C'est la désorganisation la plus totale
- Ne t'y fie pas. Cette anarchie n'est qu'une apparence et je suis certain qu'elle est voulue et sciemment entretenue. Ils tentent de noyer le poisson. Pour éviter que n'apparaisse au grand jour
le véritable assassinat collectif qu'a été la captivité. Il espèrent que les Français se contenteront d'entériner purement et simplement le résultat final, sans chercher à savoir ce que sont devenus les absents.
- Mais c'est idiot. Il n'y a qu'à procéder à un calcul élémentaire : le nombre des prisonniers a été comptabilisé, il suffit de décompter de ce chiffre celui des survivants..
- Et exiger des explications !
- Mettez-vous bien cette évidence dans le crâne : nous n'avons aucune importance. Au mieux, nous encombrons. Au pire, nous sommes les empêcheurs de se réjouir en rond. Les Viêts parce qu'ils sont tout à l'euphorie de leur victoire, les Français parce que cette guerre est enfin terminée. Qui croyez-vous intéresser avec vos minables exigences ? Demander des comptes ? Qui va le faire ? Et auprès de qui ?




Non, vraiment,
Il ne faut pas que l'oubli s'installe.

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